2 décembre 2001 — naissance.
tw : addictions, syndrome de sevrage néonatal.
la mère camée, deuxième erreur de parcours. les piqûres dans les veines qui affectent ton propre système, avant même de prendre tes premières respirations dans le monde.
bébé maigre et dépendant, le manque se fait ressentir même pas quarante-huit heures après la naissance.
bébé qui crie, bébé qui pleure, bébé qui tremble, bébé qui transpire, bébé qui sursaute. bébé n’arrive pas à trouver le sommeil, bébé a de la fièvre, bébé respire trop vite, bébé n’arrive pas à manger. bébé cherche tout le temps à téter – bébé tête les sucettes, bébé tête les couvertures, bébé tête les doudous, bébé tête les doigts.
jusqu’à ce que bébé aille mieux, et que huit jours après, il soit temps de rejoindre la maison.
2002 — 1 an.
tw : addictions, violence, père à l'armée.
la mère encore camée.
le grand frère saoulé qui se venge de tes pleurs incessants en laissant des marques contre ta peau de bébé.
c’est pas de ma faute, tu vois bien qu’on s’occupe pas de moi, non ?le père qui est mobilisé en afghanistan. trop jeune pour le connaître, trop jeune pour qu’il te manque.
2008 — 7 ans.
tw : violences familiales, inceste du père.
l’inconnu rentre au bout de six ans d’absence. un visage que tu n’as vu que sur quelques photos. et t’as beau rester dans ton coin, t’as du mal à voir ton grand frère se manger des coups.
“papa, arrête !” que tu supplies à chaque fois. mais tout ce que tu gagnes, c’est que les mains finissent par se lever sur toi aussi. et tu pleures, les premières fois. puis à force, t’endures. ça t’empêche pas de pleurer – seulement, tu le fais cachée, maintenant. et parfois, quand tout le monde est couché, il vient s’excuser du mal qu’il t’a fait.
“je suis désolé chérie, parfois, je me contrôle pas. tu me pardonnes, hein ?” la tête qui opine, les bras qui t’étreignent dans une douceur déconcertante. les larmes sont séchées, les sourires reviennent.
jusqu’à la fois prochaine.
jusqu’à ce que la violence s’arrête.
à la place, il trouve du réconfort dans tes bras, après avoir passé ses nerfs sur noah. les mains sont trop grandes pour ton corps de fillette.
“ça sera notre petit secret, d’accord ?” secret bien gardé, pendant plusieurs années.
“je veux plus que tu frappes noah. c’est pas bien.” tu supplies, gamine, cherches à protéger ton aîné du danger, un frère qui ne t’aime même pas, un frère qui est le premier à te mordre et te pincer quand les parents ont le dos tourné.
“t’aimes pas quand papa vient te dire bonne nuit ? c’est comme ça que tu peux aider papa à se contrôler, chérie. mais faut que ça reste entre nous, tu comprends ?” hochement de tête qui lui donne l’autorisation. pas qu’il l’attendait, il aurait pris ce qu’il voulait de toute façon.
et les coups contre noah se calmaient pendant quelques jours. et tu te sentais utile.
jusqu’à ce que le cycle recommence. foutu cercle vicieux dans lequel tu t’étais coincée.
2010 — 9 ans.
tw : violences familiales, inceste du père.
les visites nocturnes sont de moins en moins supportables. emmurée dans le silence, tu ne sais pas comment y échapper.
“noah, tu peux dormir avec moi ce soir ? s’il te plait.” et noah se moque, noah pense que t’es qu’une pauvre gamine trop conne. mais noah vient dans ton lit, noah te protège du loup qui rôde sans même le savoir. tu pleures longuement contre lui, chaque nuit où il t’offre un peu de répit.
et noah devient costaud, noah ne répond jamais vraiment aux attaques de papa, mais il se prend moins de coups qu’avant. on pourrait presque penser que ça va mieux, que c’est pas si pire, comparé à avant.
mais quand le chat n’est pas là, les souris dansent. et quand noah a le malheur de disparaître, ça recommence. et c'est toujours pire que la fois d’avant.
11 novembre 2011 — 10 ans.
tw : violences familiales, inceste du père,
meurtre-suicide par fusillade, c-ptsd, anxiété.
noah n’est pas là ce soir. préparée à ce qui t’attends, la boule au ventre, tapie dans la pénombre de ta petite chambre. noah ne devait pas rentrer, ce soir-là. du moins, pas aussi tôt que ça. noah ouvre trop vite la porte, alors que l’autre a déjà ouvert son jean.
et ça se passe trop vite, pourtant, encore aujourd’hui, t’es capable de revoir toute la scène au ralenti. noah qui se jette sur papa, les poings qui le cognent pour la première fois. les cris qui partent de tous les côtés, alors que tu te mets à pleurer. tu leur hurles d’arrêter, tu les supplies de stopper, tu te confonds en excuse –
parce que c’est de ta faute, pas vrai ? noah qui tombe par terre, le sang qui coule de son oreille, les reliefs du visage gonflés et rouges, alors que papa sort de la pièce en trombe. tu ne l’as jamais vu énervé comme ça, tu ne l’as jamais vu frapper noah aussi fort que ça. tu sors de ton lit pour venir près de noah, à le secouer un peu.
“noah. noah. noah ?” il n’a pas l’air de t’entendre mais il sent tes mains, relève les yeux vers toi.
“noah, viens. s’il te plait, viens.” la petite main qui se glisse dans la sienne, ses phalanges ensanglantées. et tu tires, tu tires de toutes tes forces pour essayer de traîner son poids.
“allez noah, s’il te plait.” il réussit finalement à se lever, et vous escaladez la fenêtre pour fuir dans le jardin, enfermés dans le noir dans le cabanon plein de toiles d’araignées qui t’a toujours un peu effrayée, la main qui serre trop fort celle de noah. et puis les mains se plaquent sur tes oreilles quand la détonation retentit.
un sursaut. puis deux. puis trois. puis quatre. puis cinq. puis six. et puis le silence. les coups de feu qui cessent, alors que tu t’accroches à nouveau à ton frère.
11 novembre 2011, décès d'un retraité de l'armée américaine souffrant de trouble post-traumatique à la suite de son service en afghanistan. une bagarre familiale serait à l'origine de l'incident, le vétéran en crise a tué son chien-aidant, l'atteignant de plusieurs balles, il a ensuite assassiné sa femme de deux balles dans la tête, avant de finalement s'enlever la vie dans la chambre de sa jeune fille, une balle dans sa bouche. un terrible drame familial laissant orphelins une fillette de dix ans et son frère de vingt ans.
et encore aujourd’hui, du haut de tes vingt-et-uns ans, tu te souviens de tout comme si c’était hier. les bruits assourdissants, les flashs de lumière aveuglante, les sirènes des voitures de police, les corps cachés dans les sacs mortuaires qui sont évacués sur les brancards, l’ambulancier qui vous pose des questions, le policier qui vous pose des questions, tout le monde qui vous pose des questions. et toi et noah, qui ne donnez aucune réponse.
et encore aujourd’hui, t’es brisée.
l’agressivité et la colère qui émanent de toi parfois, sans prévenir.
la difficulté de faire confiance et construire des relations.
les maux dans le bas du ventre qui te rappellent souvent les traumas subis.
le système immunitaire fragilisé de façon permanente.
les flashbacks qui te font trembler quand tu t’y attends le moins.
les mêmes cauchemars qui hantent tes nuits, années après années.
le refus formel de remettre les pieds un jour à kansas city.
l’impossibilité d’être dans une pièce avec la porte fermée.
la honte d’avoir laissé ça traîner.
la culpabilité de n’en avoir jamais parlé.
2013 — 12 ans.
tw : prise en charge par les services sociaux, c-ptsd.
les larmes incontrôlables, les cris stridents quand on te force à lui lâcher la main.
“non, noah, me laisse pas. les laisse pas me prendre. m’abandonne pas noah, je peux pas vivre sans toi, s’il te plait, je veux pas aller avec eux, s’il te plait, s’il te plait, je veux juste rester avec toi, noah, les laisse pas faire ça, tu peux pas m’abandonner comme ça.” un an et demi dans une autre famille. la famille parfaite en apparence. mais toi, tout ce que tu voulais, c’était retrouver ton frère. et il s’est démené pour. promesse d’aller mieux, promesse de s’occuper de toi. dossier tamponné après de nombreux mois, garde enfin entre ses mains. la sensation de respirer à nouveau, quand il t’a serrée dans ses bras pour la première fois.
le retour dans la maison de l’horreur, la nuit passée à trembler et vomir. et même noah ne pouvait plus te calmer, même lui était incapable de te rassurer. les yeux qui ne se sont pas fermés de la nuit.
“je suis désolée… je peux pas…” et il en a pas fallut plus pour que vous quittiez l’état.
maison vendue, nouveau bien acquis à onze heures de route de là. detroit, nouveau départ.
si seulement. c’est là que t’as appris que les peurs et les traumas ne se limitaient pas à un endroit. qu’ils te suivront partout, peu importe où tu iras.
2014 — 13 ans.
transfert dans une nouvelle école. la freak de service, la fille qu’on retrouve à pleurer dans les toilettes le midi. celle qui a du mal à se concentrer, qui n’arrive pas à écouter, qui est à la ramasse dans les devoirs. pas de ta faute si t’as des problèmes plus importants à gérer que savoir calculer des probabilités.
probabilité que tu sois fucked up : 100%.2015 — 14 ans.
le retard s’accumule, tu te sens délaissée. les amitiés sont difficiles, tu peines à te nouer. tu vois de moins en moins noah, il a des nouveaux amis, lui. il semble mieux s’acclimater que toi à ce changement de vie. en plus, vous ne parlez jamais de ce qu’il s’est passé.
peut-être qu’il a juste tout oublié. 2016 — 15 ans.
tw : violences familiales.
marre d’être laissée à droite à gauche, marre de ne plus le voir, marre de passer au second plan.
“t’avais promis que tu t’occuperais de moi, t’es qu’un menteur.” la gifle qui part, le coup qui te surprend. les larmes qui montent mais tu ne répliques pas.
c’est sûrement ce que je mérite. et alors tu le laisses faire. même s’il est de plus en plus violent. même si ça fait mal. mais les douleurs physiques finissent toujours par guérir, contrairement à celles de l’esprit.
2017 — 16 ans.
tw : violences familiales.
approbation officielle dans un gang du quartier. groupe qui a maintenant sa loyauté, l’impression d’être définitivement remplacée.
“t’as trouvé une nouvelle famille, je te suffisais vraiment pas ? tu me dégoûtes !” et peu importe si les coups pleuvent suite à tes mots, t’as l’habitude, maintenant. avec noah, c’est jamais aussi pire qu’avec papa. les premières soirées à rentrer bourrée, les premiers joints fumés. de toute façon, qu'est-ce qu'il s'en fout ? il est jamais là.
2018 — 17 ans.
tw : violences familiales, traumatisme crânien,
insulte homophobe.
puis c’est au tour des premiers petits copains. le corps changé, la fillette troquée pour la jeune femme qui paraît facilement plus âgée. les décolletés et les robes courtes adoptés. les premières expériences, le sexe souvent ennuyant face à l’adrénaline à laquelle t’es confrontée au quotidien à la maison. alors tu pousses les limites, tu réclames toujours plus.
ça a le don d’énerver noah, à croire qu’il n’arrive pas à te voir grandir. le ras-le-bol de toujours subir son besoin de contrôle alors qu’il n’est même pas là pour toi les trois-quart du temps. facilement provoqué, il a suffit de te taper l’un de ses potes pour qu’il vrille.
et c’est pas parce que t’es habituée que tu pleures moins. toujours eu les larmes faciles, une pleurnicharde de naissance. sauf que maintenant, tu insultes, aussi. les larmes sont davantage de rage que de douleur.
“tu me fais même pas mal, tu frappes comme une tapette !” les mots à peine crachés que ton crâne est cogné dans le mur.
encore et encore et encore. sonnée, les traces de mascara sur les joues – direction les urgences face à ta non-réponse. quelques minutes de perte de connaissance, et les questionnements qui reprennent à ton réveil dans une salle trop blanche.
“je rentrais de soirée, j’avais trop bu, j’ai trébuché et je me suis cognée contre le meuble. ou la table, je sais plus.” le regard qui ne croise pas celui de noah. parce qu’il a beau être le pire des connards parfois, ça reste ton frère. et au final, il est tout ce qu’il te reste.
et soudainement, on te dit que t’as changé.
pourtant, tu te sens pas différente, toi. l’impression d’être toujours la même.
pourtant, y’a…
• les crises et les sautes d’humeur qui finissent dans les cris, les larmes et la violence
• les paroles parfois blessantes ou déplacées qui sortent sans réfléchir
• le cerveau qui semble parfois déconnecté, à ne plus savoir penser ou comprendre correctement les choses
• l’impression que tes émotions sont constamment hors de contrôle
et on dira que t’es trop intense, lexi. que t’es toujours dans les extrêmes. qu’avec toi, c’est ‘tout ou rien’. mais la vérité, c’est que, non, t’as pas toujours été comme ça.
maintenant, tu rends les insultes, mais aussi les coups.
2019 à 2021 — 18 ans à 20 ans.
tw : relation toxique.
l’amour inconditionnel, peu importe les embrouilles, les injures, les crises, les colères, les blessures. les secrets qui s’empilent – pour vivre heureux, vivons cachés. la jalousie et la possessivité excessives. le truc, c’est que vous ne fonctionnez que dans la toxicité. pas de votre faute si c’est comme ça que vous avez été élevés.
Octobre 2022 — 20 ans.
tw : passage à tabac, procès pour coups
et blessures, peine de prison.
“c’est chaud quand même, t’as pas à le laisser te contrôler”
“il me contrôle pas, tu racontes n’importe quoi”
“alors poste une photo sur insta. t’es même pas cap, tu sais qu’il pèterait un câble”
“tu m’saoules, j’te jure. j’vais la poster, ta putain de photo. il a rien à dire, vu la ribambelle de meufs qu’il se tape. nous, c’est pas pareil. t’es pas qu’un plan cul. je te l’ai déjà dit, je t’aime.”
“je t’aime aussi lexi, c’est bien pour ça que j’me permets de te le dire. vous avez trop une relation bizarre. ça te ferait pas de mal de t’éloigner de lui un peu”
“c’est mon frère, j’vais pas m’éloigner de lui.”
“t’as pas l’air heureuse. moi tout ce que je veux, c’est ton bonheur, tu le sais bien”
“oui, je sais”
“tu veux dormir chez moi ce soir ?”
“je veux toujours dormir chez toi”
“à deux doigts de me dire que tu serais prête à emménager avec moi :)”
“mdr dis pas de conneries”
“je sais que t’es tentée ;)”
“tg. je prépare mes affaires et j’arrive <3”
la photo postée.
les messages épiés en secret.
la rage qui l’aveugle, le pousse à aller rencontrer celui qui fait battre ton coeur depuis quelques mois déjà. mais c’est pas une visite de bienséance. non, noah, il perd encore le contrôle. noah, il a peur que tu te barres, peur que tu lui échappes. alors noah, il trouve rien de mieux à faire que de le fracasser jusqu’à l’abandonner dans une ruelle.
et lui, il trouve rien de mieux à faire que de porter plainte contre noah.
lexi, pauvre lexi, qui se retrouve entre les deux.
mais lui, il t’a sur-estimée. lui, il pensait que tu serais de son côté.
il a sous-estimé ton amour et ta loyauté envers ton frère. ton frère, ta priorité. toujours. le procès difficile à digérer.
“coupable… un an de réclusion criminelle… octobre 2023…” les mots qui semblent irréels.
comment ça, un an ? un an, en prison ? c’est la douleur qui revient, la même que quand on t’a arrachée à lui à tes dix ans.
“noah, me laisse pas. tu peux pas me faire ça. pas encore. noah, s’il te plait.” pourquoi t’as fait ça, noah ? pourquoi ? tu pouvais pas te contrôler, putain ? tu m’abandonnes encore, à cause de tes conneries. pourquoi tu veux toujours ne pas être là ? t’es vraiment mieux sans moi ?et comme la gamine effrayée que t’étais à dix ans, on a dû te traîner de force hors de la salle d’audience, les joues rosées tachées des traces de mascara.
Septembre 2023 — 21 ans.
tw : addictions, dépression, c-ptsd, incarcération
du frère, dépendance affective.
pendant son année de prison, t’as du adapter ta vie. t’as du te trouver un job. pas de loyer à donner, mais faut bien se payer à bouffer. ça et la came. la vie seule est difficile. tu lui en veux. tu leur en veux à mort, à tous les deux. au final, pour leur guerre d’égos, c’est toi qui te retrouves toute seule. encore. les nuits sont impossibles si tu n’es pas défoncée. spirale descendante infernale que tu camoufles sous de jolis sourire qui font fondre les coeurs. et tu cherches l’affection partout où t’es susceptible de la trouver. des mots doux, une étreinte, une chaleur – n’importe quoi qui te ferait te sentir un peu voulue. un peu moins seule.
et son retour n’aide pas.
la même impression de ne pas être sa priorité, alors qu’il a toujours été la tienne.
je te déteste.
et je déteste à quel point je t’aime.